En 2012, la droite du Grand Conseil votait avec enthousiasme et à une large majorité le projet de loi 10891-A, qui permettait de doubler la densité des constructions sur les parcelles en zone villa, sans nécessité de modification de zone (en cinquième zone, la surface de la construction ne doit normalement pas excéder 25% de la surface de la parcelle). Le milieu immobilier trouvait là le moyen d’avoir les coudées franches jusqu’à 50% selon les cas.
La CGI, par la voix de son secrétaire général Christophe Aumeunier, se félicitait alors de « faire glisser le curseur d’augmentation des densités sans bouleverser le régime de la zone qui reste en parfaite conformité avec la loi ».
Cela semblait certes une bonne idée, « win-win » comme on dit. On construit du logement rapidement pour des gens qui rêvent de s’installer en zone villa, on fait du profit, tout le monde est content. Pour optimiser l’espace, on choisit principalement le modèle « bunker », qu’on empile un peu partout. Ca tombe bien, la villa LEGO est à la mode chez les architectes et fait briller les yeux des jeunes familles.
Seulement, depuis 2012, la machine s’est quelque peu emballée. L’article 59 alinéa 4 de la LCI modifié par le Grand Conseil fait fureur, et est invoqué à plein régime. A Chêne-Bougeries, notamment. Des chiffres? Dans cette commune qui comporte 70 % de zone villa, 239 logements ont été construits ou sont en processus de construction en 4 ans et demi dans la zone 5, contre 173 pendant les 9 années qui ont précédé. Soit 310% d’augmentation de la moyenne annuelle depuis l’entrée en vigueur de la modification de la loi.
Cette accélération vertigineuse ne peut pas se faire sans la pression constante des promoteurs sur les propriétaires de villas anciennes, qui sont souvent des personnes âgées. Car pour densifier et poser des bunkers bien serrés, il faut d’abord trouver de bons terrains, et démolir les anciennes maisons. Alors, on harcèle des personnes fragiles, on les pousse à vendre. Courriers, téléphones, visites à la porte, tout est bon.
Pour les communes, les conséquences sont importantes: ces nouvelles constructions entassées sur les parcelles de la zone villa échappent à toute planification stratégique cantonale ou communale. Comment dès lors prévoir suffisamment en amont les équipements publics (écoles, crèches, jauge des canalisations, levée des déchets, mobilité) nécessaires à l’arrivée de ces nombreux nouveaux habitants abrités dans toutes ces briques LEGO éparpillées sur le territoire communal ?
Malgré la gravité de la situation, il est piquant de constater que d’éminentes communes qui sont des bastions PLR sont les plus virulentes contre les effets de la modification de cette loi voulue et votée par leur propre bord politique, et qu’elles n’hésitent pas à faire systématiquement recours contre son application (souvent en vain, d’ailleurs). Le PLR est en train de scier la zone villa sur laquelle il est confortablement assis, et la modification de l’article 59 de la LCI pourrait bien lui rester dans le futur en travers de la gorge.
Catherine Armand
Conseillère municipale à Chêne-Bougeries